«Prenez Homère. Faites comme il faut toujours faire. Avec les plus grands. Et surtout peut-être avec les grands. Ne vous dites pas:Il est grand. Non, ne vous dites pas cela. Ne vous dites rien. [...] Prenez le texte. Et qu'il n'y ait rien entre vous et le texte.»Dans un dialogue «à sauts et à gambades» où l'on rencontre aussi bien le théâtre de Beaumarchais que la poésie de Victor Hugo, Clio, muse de l'histoire, médite sur l'acte de création littéraire. Des premiers brouillons jusqu'au livre imprimé, qu'est-ce qu'écrire et qu'est-ce que lire?Oeuvre méconnue, jamais publiée du vivant de Péguy et présentée ici dans une édition qui en revient au plus près du manuscrit original, Clio propose une réflexion d'une grande modernité, selon laquelle la lecture participe de la création d'un texte. L'essentiel, selon Péguy, est de lire, de bien lire, c'est-à-dire «de servir un texte, d'entendre un texte, (et d'entendre à un texte), de l'accueillir comme un hôte auguste et pourtant familier.»
Publié en 1910, Notre jeunesse est peut-être l'écrit politique et polémique le plus accompli de Péguy. C'est dans ce livre que se trouve sa phrase célèbre que tout commence en mystique et finit en politique. Péguy dresse, en effet, un bilan de la France, un bilan de la République, un bilan de notre pays depuis la Révolution jusqu'à l'Affaire Dreyfus.
«L'admirable dans le Porcheest qu'avec des mots terreux, des images charnelles qui n'ont rien de philosophique, des mouvements du coeur qui sont ceux de n'importe quelle créature, Péguy révolutionne le christianisme au sens où, comme il le dit ailleurs, une révolution est un appel d'une tradition moins parfaite à une tradition plus parfaite. Sa théologie de l'espérance ruine définitivement le jansénisme et déblaie la voie royale de l'évangile, trop longtemps encombrée de craintes qui bafouent la croix du Christ. Non seulement l'auteur du Porche retourne de l'intérieur son drame personnel de l'exil et de l'échec, convertissant la détresse en tendresse et la déréliction en abandon créateur. Mais il inverse pareillement un drame ontologique plus général qui le hante depuis sa jeunesse et qui est au coeur de sa méditation de Jeanne d'Arc : l'exil et l'échec des damnés. En une stupéfiante intuition, il fait de la damnation un exil et un échec de Dieu. Pour l'éviter, Dieu en est réduit à espérer dans le pécheur comme le pécheur espère en Dieu. Dieu prend les devants. Là comme en amour et en toutes choses, il a l'initiative, il donne l'exemple. Cela n'illustre-t-il pas d'ailleurs le plus parfait amour, où celui qui aime se met dans la dépendance de l'aimé, compte sur l'aimé ? Dieu compte sur le pécheur, tremble pour lui dans l'attente qu'il s'amende et, tel l'enfant prodigue, vienne s'écrouler entre ses bras.» Jean Bastaire.
«[...] Ainsi Péguy n'avait pas besoin d'aller au beau bras dessus bras dessous avec les artistes ; son art lui était dicté par le souci d'être vrai, et juste, ajusté à l'objet, et pur, même lorsqu'il ne montrait aucune complaisance pour l'adversaire et le rudoyait comme il croyait que ce mauvais esprit le méritait. Quand Péguy défendait ses positions, il le faisait comme on combat, non comme on joue, en n'accordant rien à celui qui n'avait pas le même objectif que lui. Il n'avait pas besoin d'être artiste, il était un vivant. Son art est le portrait de sa vie. - Et son oeuvre alors ? - Son oeuvre n'est autre que le témoignage de sa vie, comme lui d'un seul tenant. En un mot, c'est une bâtisse - oh ! pas une construction ! - un travail de charpentier, de tailleur de pierre, de sculpteur sur bois, son propre maître d'oeuvre. Quand je le connus et que nous parlions de sa Jeanne d'Arc, il me dit qu'il lui prévoyait dans les vingt-quatre volumes. - Vingt-quatre... ? - Voyez-vous, je voudrais que ce fût comme une cathédrale. Il avait toujours à cette époque - en 1912 - Chartres devant les yeux.» Stanislas Fumet.
La postérité retient parfois de Péguy l'efficacité du polémiste, le prophétisme du philosophe de l'Histoire, le moraliste aigu, l'anarchiste irréductible ou le socialiste humaniste et, d'une manière peu discutée, le patriote martyr. Mais le poète, le connaît-on vraiment?
La répétition est l'arme, redoutable, de sa versification. Elle ne produit pas de radotage. C'est le martèlement d'une voix adressée au public que Péguy entend, en quelque sorte, réinventer; et c'est sans doute aussi la marque d'une scansion, qui rejoint la part d'oralité consubstantielle à presque toute poésie. Henri Meschonnic écrivait de celle de Péguy qu'elle était une «épopée de la voix». Elle est simple, sans affectation. Si Du Bellay et Corneille sont des modèles, Villon n'est jamais très loin.
Traditionnel, Péguy? Les étiquettes lui vont mal. Dramaturge défiant les normes dès sa Jeanne d'Arc de 1897, dont l'héroïne est une nouvelle figure d'Antigone ; vers-libriste, mais créateur d'innombrables alexandrins ; poète de la déchirure ; sonnettiste, mais artisan aussi de nouvelles formes: il n'est qu'à considérer l'effet hypnotique que produisent les enchaînements de quatrains ou de tercets pour saisir la part très contemporaine de son art. L'oeuvre de Péguy a souffert de son destin paradoxal sous l'Occupation. Indexée par la Révolution nationale, revendiquée par la Résistance. Mais sa poésie renaît aujourd'hui, dépoussiérée, et dans une nécessité plus vive. Il est temps de redécouvrir, via une édition qui en restitue enfin la trajectoire, sa parole juste.
Dans cette Situation, Péguy accuse le positivisme engendré par le monde moderne de s'être substitué aux anciennes humanités.
Il prend pour cible le « parti intellectuel », son arrivisme, son arrogance et son mépris des traditions spirituelles du passé, sa « barbarie » nouvelle plus dangereuse encore que celle des partis politiques, son péché d'avoir réduit l'ancien désir de gloire, spirituel et légitime, en une forme de domination temporelle, pleine de mesquinerie, de bureaucratie et de parvenus. Avec verve, il s'emporte contre la modernité, le modernisme, contre l'embrigadement éducatif, contre la dénaturation et la défiguration malhonnête, lui, le Républicain, de la France de l'Ancien régime. Mais il rappelle aussi au fil des pages qu'il est un poète, un styliste : il livre ainsi un portrait au souffle hallucinant de Paris, du Paris moderne, auquel il oppose les villages de France, sa Beauce et son « océan de blés », la Sologne, le fil de la Loire, « cette Reine que les Rois ont aimée » ; coagulant avec passion l'histoire de France, il réhabilite l'épopée, l'héroïsme, l'aventure collective.
Tout entier animé de la colère du Juste et de la lucidité du visionnaire, il nous offre un grand livre plein de vie.
Cet essai de Charles Péguy de 1913 nous plonge dans le passage à l'ère moderne. Mêlant à ce portrait pamphlétaire d'une société en mutation des souvenirs d'enfance, l'auteur pressent la crise, le règne absolu de l'argent et de la bourgeoisie. Les anciennes valeurs, honneur et travail, font désormais place à la valeur financière. De l'ouvrier au paysan jusqu'à l'enseignant, l'argent obsède, corrompt. Faire la classe n'est plus une mission mais une obligation professionnelle et lucrative. Et ce qui se passe dans la cour des petits est le reflet des changements survenus dans celle des grands. Car ces hommes qui cherchent à gagner plus en travaillant moins ne font que se précipiter vers un naufrage. Mais la mécanique est en marche, tout retour en arrière impossible.
Cette nouvelle édition - parce qu'elle se veut complète - apparaîtra très vite comme indispensable à qui se propose de connaître le vrai Péguy, cet ennemi des systèmes. Citons : «La liberté ne s'obtient généralement que par une opération de désentrave : [...] il y a des hommes qui font des idées toutes faites. Il y a des idées qui sont toutes faites pendant qu'on les fait, avant qu'on les fasse. [...] Il y a aussi peu de peintres qui regardent que de philosophes qui pensent.» Un Péguy qui, aujourd'hui encore, dérange : «Ce n'est pas impunément que Dieu fait un siècle aussi niais. [...] Qui veut faire l'ange fait la bête. Le malheur est aussi que qui veut faire la bête fait la bête. Qui veut faire la bête y réussit généralement parfaitement.» Et, aussi, l'étonnant moraliste : «Il faut renoncer à cette idée que la passion soit trouble (ou obscure) et que la raison soit claire, que la passion soit confuse et que la raison soit distincte. Nous connaissons tous des passions qui sont claires comme des fontaines et des raisons au contraire qui courent toujours après les encombrements de leurs trains de bagages.» On trouvera rassemblés pour la première fois dans cette édition - dont le texte a été soigneusement contrôlé par un recours systématique aux manuscrits - les nombreux fragments posthumes qui, jusqu'à présent, n'avaient été publiés qu'en plaquettes ou en revues. Des chronologies détaillées, des notes - qui tirent profit de toutes les recherches menées sur l'auteur - ainsi que de nombreux extraits de la correspondance de Péguy et un complet inventaire des archives des Cahiers de la quinzaine conservées au Centre Charles-Péguy d'Orléans éclairent les multiples références et allusions de cette oeuvre si charnellement liée au temps. Il n'était pas inutile de noter quelques repentirs d'une pensée qui semble s'écouler devant nous sans barguigner ; on la verra cependant, par les quelques variantes que nous avons retenues, hésiter - et se chercher. À la fin de chacun des volumes, un répertoire des diverses personnalités citées vient heureusement aider le lecteur.
Le premier des trois tomes de cette nouvelle édition rassemble les textes rédigés par Péguy jusqu'en mai 1905. On y trouvera non seulement les nombreux écrits qui n'avaient jamais encore été reproduits depuis leur première publication dans les six premières séries des Cahiers, mais également la totalité des articles de Péguy publiés dans des revues ou des journaux avant l'institution des Cahiers.
Si Péguy reste perçu comme l'exemple même de l'homme engagé, un modèle d'austère vertu républicaine, la lecture de son oeuvre révèle un personnage bien plus complexe et tourmenté, à la fois tragique et comique, au style puissant et catégorique.
Tout chez lui relève de la mystique, non seulement le judaïsme et le christianisme, qui lui sont particulièrement chers, mais aussi l'amour de la République, de la monarchie et de la patrie. De l'affaire Dreyfus, qui l'accompagna toute sa vie, il conserva un seul impératif, applicable à tout : que « la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance ». C'est pourquoi, à une époque où la politique offre une image plus que jamais dégradée, il est urgent de découvrir ou de retrouver l'oeuvre de cet intransigeant. Lire Péguy et ses étonnants Cahiers de la quinzaine, c'est s'abreuver à la source de toute politique, quel qu'en soit l'horizon ; c'est retrouver l'exigence d'un sens dans un monde lui-même en quête de repères.
Les principaux essais de Péguy, réunis ici pour la première fois dans un volume cohérent par Alexandre de Vitry sous le patronage d'Antoine Compagnon, tissent une longue analyse de ce monde annonciateur du nôtre et de ce qu'il est déjà en train de trahir : le génie littéraire, l'héroïsme, la sainteté et toutes les formes de la grandeur. Les cibles de l'écrivain se succèdent sous son regard perçant, depuis Taine et Renan jusqu'à l'argent-roi, en passant par les défaitistes en tout genre, les hérauts de la « nouvelle Sorbonne », les cléricaux de toutes les Églises.
Intervenant sur « les sujets les plus brûlants de l'actualité sociale et culturelle et en général sur les conditions du vivre-ensemble », Péguy demeure « incontestablement parmi nous », comme le souligne Antoine Compagnon dans sa préface.
Ce dernier volume rassemble les oeuvres de la maturité intellectuelle, de juillet 1909 à août 1914. Un répertoire des personnalités, une bibliographie et un index général viennent parachever l'ensemble.
Péguy, tourmenté par un amour interdit, découvre que le réel est la «variabilité même». Aussi l'analyse ne peut que multiplier les points de vue pour recueillir cet incessant écoulement, comme le note avec justesse Robert Burac : «Tout cet arsenal de parallélismes en séries, d'ajouts de ressourcement, de parenthèses, de disjonctions, de citations [...], ces jeux et ces décalages perpétuels de l'humour et de l'ironie, du paradoxe et de l'oxymore, de la suspension et de la surprise, ce constant recoupement du texte et des textes par le texte et cette confusion des genres, voilà par quoi Péguy brise la linéarité de l'écriture et fait harmonieusement résonner toutes ses voix.» Très certainement, pour Péguy, le style répond aussi à une intention métaphysique.
Le temps est véreux, dit ce Péguy-là. Un infatigable vautour ronge l'impérissable en nous. Et cette idée de progrès qui est au centre même du monde moderne, de la philosophie et de la politique et de la pédagogie du monde moderne est essentiellement une théorie de caisse d'épargne. Il y a une déperdition, une perte perpétuelle, une usure. D'un mot, il y a le vieillissement. Cet homme-là va vers ses quarante ans. Il sait donc. Il sait enfin que la Sorbonne et l'École Normale et les partis politiques s'ils ont pu lui dérober sa jeunesse ne lui ont pas dérobé son coeur. Il sait, et il sait qu'il sait. Quoi? «Il sait que l'on n'est pas heureux.» Il sait que, depuis qu'il y a de l'homme, nul homme - jamais - n'a été heureux. Et il le sait même si profondément que c'est assurément la seule croyance à laquelle il tienne et cette science-là ruine le dogme sur lequel est fondé tout le monde moderne.
Aussi cet homme revient au monde antique. À Zeus hospitalier, le dieu des hôtes. Et si les hôtes viennent de Zeus, c'est que l'étranger vient des dieux. Que le mendiant, que le suppliant est un envoyé des dieux. Mais ces anciens dieux, malgré tout, ne savaient pas mordre. Et le Péguy de ces années-là, insatisfait, rencontre enfin le dieu qui mord et touche le dieu qui dévore. Un dieu qui, parce qu'il s'est dérangé en entrant dans l'histoire, sauve le temps. Est-ce parce qu'il se défait du monde moderne que Péguy trouve son dieu, ou le contraire? Ces pages le disent qui rassemblent les textes de Péguy publiés ou écrits entre 1905 et 1909.
Préface du cardinal Verdier. Nouvelle édition
Voici la première publication en français de l'une des anthologies les plus originales de l'oeuvre en prose de Charles Péguy (1873-1914) proposée aux lecteurs de langue allemande en 1953 par Hans Urs von Balthasar. Regroupés sous le titre évocateur Wir stehen alle an der Front, les trente extraits choisis sont réunis en trois sections : Combat, Culture, Histoire. Surprenants, incisifs, stimulants, ils mettent en lumière la situation exposée de tout homme intègre et de tout chrétien dans le « monde moderne », ils précisent la nature des fronts sur lesquels l'écrivain s'est battu et manifestent le sens de ses engagements. Et s'il se bat, en définitive, n'est-ce pas pour enfouir dans tous les domaines de l'existence cette « once de charité » qui couronne le dernier extrait ?
Entre février et avril 1900, Péguy publie trois longs textes dans les Cahiers de la Quinzaine, revue qu'il dirige : « De la grippe », « Encore de la grippe », « Toujours de la grippe ». Cette sérieuse attaque qui le frappe, en même temps qu'une importante partie de la population, lui inspire une série de dialogues entre un « provincial » épris de vérité et un « docteur moraliste révolutionnaire », qui comprend toutes les subtilités du socialisme contemporain. Cet échange de haute tenue aborde en réalité de nombreux sujets. De la grippe » est la mise en scène du dialogue entre ces deux personnages, à l'occasion de la maladie du premier qui l'oblige à rester au lit, le rendant encore plus dépendant du second pour son éducation socialiste. La grippe est ainsi présentée comme une maladie banale touchant les hommes ordinaires - une « grippette » selon le mot récemment utilisé par les médecins - dont les éducateurs seraient prémunis par la moralité de leur conduite. Péguy s'interroge : où a-t-il bien pu attrapper le virus ? À l'imprimerie, au siège des Cahiers, dans le village voisin ?
C'est l'occasion pour lui de relire Pascal, les Pensées bien sûr, mais aussi Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, ainsi que les Dialogues de Renan.
Dans ces dialogues, il est question de la société, de la religion, de la guérison, des différents traitements, de l'avenir du socialisme. La grippe est alors l'occasion de méditer sur les plus grandes questions qui se posent à l'humanité.
Publié en 1910, Notre jeunesse est peut-être l'écrit politique et polémique le plus accompli de Péguy. C'est dans ce livre que se trouve sa phrase célèbre que tout commence en mystique et finit en politique. Péguy dresse, en effet, un bilan de la France, un bilan de la République, un bilan de notre pays depuis la Révolution jusqu'à l'Affaire Dreyfus.
Pierre. Commencement d'une vie bourgeoise est l'une des oeuvres les plus importantes et accessibles de Charles Péguy. Dans ce récit, simple et émouvant, écrit en 1898-1899 mais publié après sa mort dans les premiers combats de la Grande Guerre, Péguy nous livre ses souvenirs d'enfance à Orléans.
Orphelin de père, élevé par sa grand-mère et sa mère, qui fit de lui pour l'éternité « le fils d'une rempailleuse de chaises », le petit Charles découvre la vie au milieu du Faubourg Bourgogne parmi ce peuple des artisans, paysans, ouvriers qui expriment dans le travail leur dignité.
C'est aussi la découverte de l'école de la République avec des maîtres merveilleux, les fameux « hussards noirs », expression qui appartient à Charles Péguy. Pur produit de la promotion républicaine, Péguy refusera toujours le confort d'une vie bourgeoise, préférant employer son tempérament d'insurgé à défendre la liberté, la vérité et la justice.
Peu connu, ce récit tendre et touchant permet de pénétrer de plain-pied dans l'oeuvre d'un des plus grands écrivains français, qui entre aujourd'hui encore en résonance avec notre époque.
Les plus beaux quatrains d'une grande épopée à redécouvrir. Le sens du sacré y est présent et jaillissant du début à la fin.
10 avril 1910. Aux Cahiers de la Quinzaine, Charles Péguy publie Apologie pour notre passé, de Daniel Halévy. Corrigeant les épreuves de son collaborateur, Péguy trouve cette défense du dreyfusisme beaucoup trop timorée. Le 17 juillet, il prend un ton beaucoup plus énergique dans Notre jeunesse. Mais Halévy trouve certains termes de ce cahier blessants pour lui. On parle de duel. Des amis s'interposent. Péguy, durant l'été, écrit Solvuntur objecta pour s'expliquer:Péguy est un enfant du peuple; Halévy, malgré l'intérêt qu'il porte aux paysans et aux ouvriers, reste un bourgeois. Ils ne parlent pas le même langage, d'où le malentendu. Mais bientôt Péguy délaisse la polémique pour la critique littéraire. Il nous parle de Corneille, de Racine, de Hugo, surtout, en des pages devenues célèbres. Et Solvuntur objecta, qui est devenu Victor-Marie, Comte Hugo, paraît sous ce titre le 23 octobre 1910.
C'est entre le mois de juin 1912 et les moissons de 1913 que l'auteur des Cahiers, le publiciste, comme on disait alors, passa le fossé de la ville porte de Guillaume, avant de gravir « exalté la pente ultime ! ». Il aura suffi qu'au début de ce siècle, un poète, penseur, polémiste, qui eut l'audace d'échouer à l'agrégation de philosophie, et le culot de mourir combattant de la « der des der » en pleine maturité, écrive cet hymne à l'Amour, avec un grand « A », pour que l'émotion jaillisse. (Ivan Levaï Figaro magazine, 13 avril 1996) La méditation religieuse de Charles Péguy se déploie avec une forme poétique sans précédent dans la littérature française.
Des textes pour cheminer vers les lieux de pèlerinage.
Morceaux choisis de l'oeuvre de Charles Péguy, cet ouvrage permet au lecteur d'entrer directement en contact avec l'essentiel de son propos. A travers cinq thèmes représentatifs du travail d'essayiste de l'auteur de L'Argent (héroïsme, travail, science, dieux et révolution), c'est toute la cohérence générale de son oeuvre qui se laisse deviner, résultat d'une éthique intransigeante, quel que soit le sujet abordé. Le caractère atypique de Péguy est souligné par une préface qui nous rappelle pourquoi un lecteur attentif au monde actuel ne saurait rester indifférent à ses écrits.
Le Mystère des saints Innocents, paru en 1912, n'a pas pris une ride. Il répond toujours aux angoisses de notre temps. Comment être croyant dans un monde où l'on assimile la religion à la soumission et à la violence ? Comment être Français dans un pays tenté par le reniement et le renfermement sur soi ? Comment être père dans une société en panne de dialogue intergénérationnel ? Péguy répond à ces interrogations. À travers le discours de Madame Gervaise, c'est Dieu qui parle. Audace du poète, qui bouscule les certitudes ou les préjugés de son lecteur, en faisant l'éloge de l'espérance et de la miséricorde, de la liberté de l'homme - la plus belle création de Dieu - et du peuple français qui a « la liberté dans le sang ».