Décembre 1714, à Jadraque (Espagne), Anne-Marie des Ursins, depuis vingt ans au service du roi Philippe V d'Espagne, vient à la rencontre d'Élisabeth Farnèse, duchesse de Parme, dans quelques jours la nouvelle épouse du souverain. Que se passe-t-il durant cette entrevue si brève ? Brutalement, Anne-Marie des Ursins est congédiée par la future reine d'Espagne, et aussitôt conduite sur les chemins de l'exil. Bien des années plus tard, les deux femmes continuent de passer au tamis de leur mémoire cette décisive nuit, faisant naître ainsi le récit de près d'un siècle d'Histoire. Un magnifique roman sur les femmes au pouvoir.
Dans la vie de saint Augustin se tient une ombre, une femme, nommée Elissa dans le roman, qui partagea sa foi manichéenne, fut sa concubine, lui donna un fils, vécut avec lui à Carthage, Thagaste, puis en Italie où le jeune rhéteur la congédia de son existence... Quand Elissa prend la parole, aux premières pages de ce livre, presque douze ans ont passé depuis sa "répudiation". Revenue vivre à Carthage, elle s'est liée d'amitié avec un couple dont le mari a pour métier de consigner sur des parchemins les discours d'avocats, rhéteurs ou prédicateurs. C'est par lui qu'elle apprend le passage prochain à Carthage d'Augustinus, désormais évêque d'Hippone...
Roman tout en miroitements, par lequel une vie scintille dans une autre, ce livre aux accents d'anti-confessions passe au crible de celle qui sait les débuts puis la carrière du saint homme. La mémoire d'Elissa est tenace, en elle la fidélité l'emporte sur la désillusion. Et l'auteur excelle à revisiter les textes augustiniens, interpréter les silences, traquer les demi-aveux, pressentir les non-dits, déchiffrer l'insidieuse pesée du lien maternel, restituer l'intime, effleurer la peau des souvenirs...
Avec ce portrait en creux d'un "cher disparu", Claude Pujade-Renaud réplique à l'histoire officielle, témoigne pour le témoin qu'est Elissa, et poursuit sa réflexion - constante dans toute son oeuvre - sur les coulisses des pouvoirs... temporel et spirituel.
Amours, déchirements et suicides de Sylvia Plath et Assia Wevil, deux femmes au destin en miroir, deux épouses du même "braconnier" : le grand poète anglais Ted Hugues. Un roman qui déchiffre la part mimétique de leurs vies.
C'est en 1956, à Cambridge, que Sylvia Plath fait la connaissance du jeune Ted Hughes, poète prometteur, homme d'une force et d'une séduction puissantes. Très vite, les deux écrivains entament une vie conjugale où vont se mêler création, passion, voyages, enfantements. Mais l'ardente Sylvia semble peu à peu reprise par sa part nocturne, alors que le "braconnier " Ted dévore la vie et apprivoise le monde sauvage qu'il affectionne et porte en lui. Bientôt ses amours avec la poétesse Assia Wevill vont sonner le glas d'un des couples les plus séduisants de la littérature et, aux yeux de bien des commentateurs, l'histoire s'achève avec le suicide de l'infortunée Sylvia.
Attentive à la rémanence des faits et des comportements, Claude Pujade-Renaud porte sur ce triangle amoureux un tout autre regard. Réinventant les voix multiples des témoins - parents et amis, médecins, proches ou simples voisins -, elle nous invite à traverser les apparences, à découvrir les déchirements si mimétiques des deux jeunes femmes, à déchiffrer la fascination réciproque et morbide qu'elles entretiennent, partageant à Londres ou à Court Green la tumultueuse existence du poète.
L'ombre portée des oeuvres, mais aussi les séquelles de leur propre histoire familiale - deuils, exils, Holocauste, dont elles portent les stigmates -, donnent aux destins en miroir des "femmes du braconnier" un relief aux strates nombreuses, dont Claude Pujade-Renaud excelle à lire et révéler la géologie intime.
Pourquoi le philosophe Søren Kierkegaard a-t-il brutalement rompu ses fiançailles avec la jeune fille qu'il adulait ? De quelle incapacité au bonheur, de quelle malédiction se croyait-il frappé ? Dans les mois, les années, et même les décennies qui suivent, bien que mariée et heureuse, la fiancée répudiée, Regine Olsen, s'acharne à comprendre...
Quelques grands noms de créateurs (Joyce, Stendhal, Schiele, Mozart...) et de créatures (Orphée, Rossinante, oedipe...) sont au coeur de ces nouvelles de Claude Pujade-Renaud, explorant le désespoir de vivre et la douce ou violente folie qui gouverne ceux qui ont consacré leur existence à une muse.
Jusqu'à son éradication en 1709, l'abbaye de Port-Royal des Champs aura représenté - face à Versailles, à la cour de Louis XIV, aux jésuites et à la papauté - un symbole d'indépendance et d'inviolabilité des consciences. C'est pourquoi ce récit est celui d'une persécution acharnée, mais aussi d'une clandestine activité de préservation. Cette histoire de clan et de femmes, traversée de multiples prises de parole, est notamment portée par les voix de Françoise de Joncoux et de Marie-Catherine Racine. La première déchiffre et recopie les manuscrits du monastère, maintient le lien entre les membres de la communauté dispersée, sauve de l'anéan tissement l'oeuvre édifi ée par tant de moniales et de leurs amis - Blaise Pascal et les "Solitaires". La seconde cherche à cerner la vérité de son père, l'illustre Jean Racine, ami ambigu de Port-Royal, qui y fut élevé, s'en éloigna... mais voulut y être inhumé. Revécu par celles qui ont "fait" ou approché Port-Royal, bruissant de mémoire et empli de probité dans la fiction, ce roman rend hommage à un lieu de grâce que le pouvoir temporel s'évertua à opprimer, détruire et transformer en désert - au risque d'en faire un mythe.
Nouvelliste et romancière, Claude Pujade-Renaud a reçu le grand prix de la Société des gens de lettres en 2004. La quasi-totalité de son oeuvre est disponible chez Actes Sud.
Cinq veuves d'écrivains (Athénaïs Michelet, Marguerite Schwob, Fanny Stevenson, Marinette Renard, Charmian London) ouvrent sous nos yeux la boîte de Pandore, dévoilant les coulisses de l'oeuvre et découvrant les archives privées...
Leur "cher disparu" s'appelle Jules Michelet, Robert Louis Stevenson, Marcel Schwob, Jules Renard ou Jack London. Elles ne se connaissent pas mais ont en commun d'être veuves d'écrivain et, depuis lors, de veiller sur l'oeuvre. Tour à tour elles prennent la parole, évoquent le passé, se remémorent la vie conjugale, feuillettent les livres, raturent les journaux intimes et parfois découvrent, avec amertume ou résignation, quelque turpitude qu'il eût fallu ignorer. Mais par-delà toute indiscrétion, c'est au coeur des obsessions et du mythe personnel qu'elles plongent un regard attentif, où entre une part d'amour fidèle et indulgent.
Cinq disparus, et donc cinq portraits subtilement agencés, dont la finesse nous ouvre de nouvelles clefs de lecture, en même temps que Claude Pujade-Renaud dévoile le versant caché de la littérature des hommes : celui, bien sûr, dont seules les femmes - dont seule une femme pouvait témoigner.
Par une petite annonce du Chasseur français, Eudoxie, quarante-sept ans, rencontre et bientôt épouse Armand, sexagénaire, veuf comme elle, flanqué de Lucien, son fils - trente ans passés, taciturne, sauvage, peut-être même à moitié fou.
Et voici qu'elle s'installe dans le modeste pavillon de Meudon Val-Fleury où habitent les deux hommes ... Deux ? Pas pour longtemps. La guerre qui survient est fatale à Armand : il laisse à Eudoxie la charge de l'encombrant beau-fils dont elle n'a que faire et avec lequel, cependant, elle va tenter de vivre. Histoire d'une mariée condamnée bien malgré elle à être belle-mère, roman d'un " arrangement " insolite entre deux individus qui ne se sont pas choisis, variation douce-amère sur le troisième âge, ce livre est comme un adieu, à travers le siècle, à une génération de gens simples, discrets, respectueux de leur destin.
Dans une écriture complice et toujours vigilante, Claude Pujade-Renaud y met surtout en lumière un magnifique portrait de femme, aux plus beaux jours de la petite France des banlieues.
Inventer une danse qui serait habitée par le ressac de l'océan, telle est l'obsession de Doris Humphrey, la célèbre danseuse et chorégraphe américaine des années 1930. L'itinéraire exceptionnel de Doris croise tôt celui de Pauline Lawrence, musicienne et décoratrice. Ensemble, avec leurs compagnons de vie et partenaires de scène, Charles Weidman et José Limón, elles vont créer, s'aimer, se haïr, se lier, se délier, s'opposer à la grande rivale, Martha Graham, protéger les débuts d'une danseuse nommée Louise Brooks.
Malade le jour où Socrate a bu la ciguë, Platon fuit Athènes, la cité traîtresse qui a assassiné son maître, et il rejoint à Mégare quelques amis et disciples du philosophe. Il les questionne sur les derniers instants, les ultimes paroles de celui qu'il a tant admiré et dont il peine à retrouver, dans les divers témoignages recueillis, le véritable visage. En compagnie du jeune esclave Mélésias, Platon prend alors le chemin d'une grotte isolée, dans l'espérance de quelque révélation.
"Platon, je crois, était malade" : par l'interstice d'une phrase relevée dans le fameux Phédon où Platon raconte la mort de Socrate, Claude Pujade-Renaud rejoint une époque où la philosophie s'invente dans les jeux vifs et éphémères de la parole, de l'intelligence et du désir.
Elles sont trois petites filles du plus haut lignage, issues des deux mariages du tyran Denys de Syracuse. Leur vie quotidienne, au début du IVe siècle av. J.-C., est rythmée par les récits et par les jeux, par l'apprentissage des mythes et de la musique, par l'admiration pour leur père et par la lointaine rumeur du monde des hommes qui parfois monte, troublante, enivrante, d'au-delà des remparts, portée par le vent de la mer. Car le jardin où elles grandissent est cerné de murailles, dressées sans doute pour leur protection, leur quiétude ou... leur réclusion ? Peu à peu, en effet, la belle ordonnance du jardin est brisée et les lois de l'inceste métamorphosent en tragédie cette chronique familiale par laquelle Claude Pujade-Renaud, poursuivant son interrogation sur les femmes et le pouvoir, confronte son intuition de romancière aux représentations de l'Antiquité.
Suzanne reste plantée devant Son faitout, couvercle à la main.
Ce bouillon a l'air vraiment pâlot, il lui manque quelque chose, mais quoi ? Du poivre ? Non, elle aurait dû aller acheter ce produit chez l'épicier. Elle s'empare du livre laissé par Edith sur le rebord du buffet et l'enfonce entre le gîte et le paleron. La couverture se plisse en se rétractant puis dégorge un jus brun doré à souhait. Une façon de colorer que n'avait pas prévue tante Nanette et qui vaut bien le truc des oignons.
Savoureux, le parfum aiguise à nouveau son odorat et son appétit. Elle leur fera bouffer, le si joli petit livre. (Extrait)
"- Vous êtes toute seule ?
Ca se voit, non ? Et cette façon d'appuyer sur toute ! Elle le sait qu'elle est seule, inutile de le souligner. Et depuis plusieurs semaines qu'elle vient chaque midi, cette garce de serveuse pourrait lui épargner la répétition de l'interrogation !".
C'est la déchirure surgie dans le destin de ses héroïnes, obscures ménagères ou danseuses étoiles, que Claude Pujade-Renaud souligne ici d'un trait vif. Son écriture dévoile la dramaturgie du quotidien, force à l'aveu, révèle l'indicible. Et de ses nouvelles, tissées comme un filet qui retient l'âme des personnages, à notre tour nous demeurons prisonniers.
Une dispute insignifiante, un incident, un souvenir, une association d'idées, et voici que vacille l'édifice des certitudes : les amants glissent de la complicité à l'ulcération, les femmes cèdent au vertige, les hommes découvrent leur faiblesse et les vieillards retombent en enfance. Par une chatière inattendue, l'inconscient, la mémoire, voire le refoulé sont entrés en scène, prenant en otages les comportements. On le sait, Claude Pujade-Renaud écrit dans l'indiscrète connivence de ses lecteurs. Avec un sens aigu de l'observation, elle visite ici quelques âges de la vie, dans des situations où le libre jeu de la pensée et du langage vient troubler le miroir des apparences. Lucides, à peine cruelles parfois, ces nouvelles sont tout entières dédiées à la certitude qu'en vérité les mots nous mènent par le bout du nez.
a travers quelques regards d'enfants sur le monde des adultes, à travers une suite de portraits, claude pujade-renaud évoque ou raconte des vies de femmes : femmes confrontées à l'amour ou à l'isolement, au travail, à la maternité ou à la vieillesse, femmes observées dans la diversité des âges.
loin de s'en tenir aux données objectives et sociales de la condition féminine, l'auteur accompagne ses personnages dans leurs conciliabules les plus secrets, elle les pousse en ces territoires incertains où désirs et fantasmes, interdits et contraintes soudain se dévoilent. c'est ce double regard, attentif et intuitif, qui donne à ce recueil de nouvelles une fascinante acuité.
Il suffirait de presque rien pour que les personnages de Claude Pujade-Renaud soient aussi heureux qu'ils en ont l'air. Encore faudrait-il que les mots soient leurs alliés, qu'ils signifient exactement la même chose pour tout le monde. Au lieu de quoi ils se dérobent, laissent entre eux et le réel un vide qui devient l'espace du malaise, du malentendu, parfois du malheur. De ce recueil de nouvelles sourd une mélodie douce-amère, teintée de regrets - regret de n'avoir pas compris l'autre, faute de lui avoir dit qui on était, regret de ce qui aurait pu être si l'on s'était tu - et d'espoirs en suspens.
- Les Enfants des autres - La Danse océane - Un si joli petit livre - Vous êtes toute seule ?
- Martha ou le Mensonge du mouvement - Belle mère - Platon était malade - Le Jardin forteresse
A quatre-vingt-seize ans, la grande danseuse et chorégraphe Martha Graham tire quelques-uns des fils de ses souvenirs, convoquant son enfance, son père, ses amours et ses amitiés, les personnages marquants de son oeuvre. Condamnée à l'immobilité, elle revit les années d'efforts pour rompre son corps aux exigences de sa passion, pour mettre en scène ses propres sensations jusqu'à balayer des siècles de conventions. Portrait d'un caractère hors du commun, tiraillé entre la dureté d'une discipline souvent douloureuse et la fragilité des grands créateurs.
Cassandre, Oenonè, Okyrrhoè, Jocaste, Ismène.
Ces cinq femmes de l'Antiquité grecque ont en commun d'énoncer des vérités enfouies que les hommes ne veulent pas ou n'ont pas voulu entendre. Entre poème narratif, chant mythologique et monologue théâtral, par cinq soliloques elles opposent à la version officielle de leur ignorance l'intuition d'un savoir visionnaire, la discrète et lucide perception d'une destinée collective soi-disant gouvernée par la seule action des dieux et des hommes.
Une perception qu'elles paieront au prix fort du silence et, comme la moitié du genre humain, par leur éviction - combien durable du champ politique....
Quelques grands noms de créateurs (Joyce, Stendhal, Schiele, Mozart.) et de créatures (Orphée, Rossinante, oedipe.) sont au coeur de ces nouvelles de Claude Pujade-Renaud explorant le désespoir de vivre et la douce ou violente folie qui gouverne ceux qui ont consacré leur existence à une muse.
Claude Pujade-Renaud aime les mythes autant que les romans, les créateurs autant que leurs créatures. On ne s'étonnera donc pas de la voir s'amuser à mêler les uns et les autres dans ce recueil de nouvelles qui donne la parole aux plus proches compagnons des artistes pour évoquer la folie douce ou violente qui préside à leurs destinées.
Ainsi, quand il est question de Don Quichotte et Cervantès, la carne Rossinante prend la parole, pour révéler lors d'une savoureuse entreprise d'auto-réhabilitation qu'elle a également été la monture de Jacques le Fataliste, très ponctuellement celle de Fabrice Del Dongo et qu'elle a même croisé la route de Nietzsche ("De fol en fol"). S'il s'agit d'évoquer Mozart, c'est par la voix d'une jeune pianiste aveugle qui créa le concerto n° 9 ("Rire en do mineur"), le parcours de Jules Renard se lit à travers les arbres de son oeuvre et de sa vie ("L'Arbre et le Renard") et nul mieux que Nora, sa compagne et mère de ses enfants, ne peut parler de James Joyce ("Ulysse à Trieste"). Stendhal et Egon Schiele passèrent chacun par Trieste à un moment particulier de leurs existences, dont la ville devient le témoin privilégié ("Entre Rouge et Noir ?", "Sypholie"). Enfin les lecteurs de Claude Pujade-Renaud savent quel lien fort elle entretient avec les mythes grecs, deux sont donnés à lire dans des versions très personnelles : la chute d'oedipe observée de loin par la mère qui l'a élevé, pas Jocaste, donc, mais Mérope de Corinthe ("Une histoire de pied"), et une variante contemporaine et profondément mélancolique de l'aventure d'Eurydice ("La Traversée").
De cet ensemble de textes sourd l'impression délicieuse qu'une oeuvre est en vérité composée autant des créations de son auteur que des événements de l'existence de celui-ci, triviaux ou sublimes. D'une passion à un vice, de la fantaisie au désespoir, c'est en pleine complicité et avec un humour bienveillant que Claude Pujade-Renaud éclaire certaines correspondances inédites et quelques "oublis" de la légende des grands hommes disparus.
Dotée d'un grand appétit pour les saveurs de la Méditerranée, Claude Pujade-Renaud nous fait goûter, dans une langue d'une grande sensualité, les métamorphoses et métissages des mets et des mots.
Exquis d´écrivains souhaite rendre hommage à la richesse de la langue française pour dire les plaisirs de la nourriture et constituer la mémoire littéraire de la gastronomie.
Fictions, rêves et souvenirs, chaque auteur y livre ses voyages personnels dans les plaisirs de la nourriture, sous différentes formes narratives (récits, nouvelles, dialogues, contes, poèmes...), qui donnent envie de passer à table ou de se mettre aux fourneaux.
Exquis d´écrivains, première collection demandant à des auteurs contemporains de livrer leurs plaisirs de table et de bouche, s´adresse à tous les lecteurs gourmands et gourmets auxquels elle propose des textes intimistes et variés, émouvants ou drôles, résolument appétissants et agréables à lire.
Les trois personnages de ce livre quasi initiatique s'appellent le Père, la Mère, la Fille.
C'est la Fille qui raconte l'histoire. Et au moment où elle le fait, les deux autres sont morts. Elle les a vus entrer dans la vieillesse, elle les a vus franchir peu à peu - et pour ainsi dire main dans la main - le sas de l'absence : celle de l'esprit, celle du corps qui progressivement prenait congé. Et elle se souvient. Elle se décrit elle-même dans l'entre-deux de leur fin prochaine, quant la porte de la vie normale semblait juste derrière, et que celle du deuil ne tarderait plus à s'ouvrir.
Cette traversée n'est pas unique : elle est universelle. En de très brèves séquences qui effleurent le passé et le présent, les rêves et la part nocturne des choses, la Fille évoque les soins, les dernières tendresses, l'indéfectible alliance du Père et de la Mère dont l'intimité, si opiniâtrement affirmée, l'aura jusqu'au bout tenue à la lisière de son enfance - et au seuil de leur secret. A elle, pourtant de veiller après avoir été veillée, de nourrir après avoir été nourrie.
Il n'y a pas lieu d'avoir peur. Et sans doute suffit-il d'avancer pas à pas, de faire les gestes qui s'imposent. L'humour et la douceur ne sont pas le moindre viatique, dans ce livre qui trouve à chaque instant le ton juste - et les mots pour dire l'indicible.
« Elle écrit un livre avec du sang et une plume sergent-major. L'écriture est brun foncé. Elle montre le texte à l'homme. Elle se réveille. Il ronfle doucement. Elle met le ronflement dans son ventre. Ça pourrait faire un bébé, pour quelques instants. Ça ronronne, ça caresse, l'homme tousse. Elle expulse.
L'intérieur du corps est enfin vide, bien raclé. Il est possible d'y tendre une grande toile d'araignée. De la crête iliaque à l'apophyse coracoïde, de la cavité glénoïde à la symphyse pubienne, l'anatomie détient des noms doux et croquants. Les fils sont tissés. Maintenant il faut attendre que les mots viennent s'y prendre. Elle guette. Il faudra attendre plus de neuf mois. [...] Elle attend. Souvent les mots avortent. Quelques-uns naissent. [...] Cri après cri, année après année, travaillée au corps à corps, l'écriture se condense en texte où une femme tente de dire. À un homme, des hommes, des femmes. » C.P.R.
" Impuissance Ces nuages crèvent d'angoisse Il faudrait les soulager Les traire peut-être ?
Personne ne m'a appris "