Guy Debord (1931-1994) a suivi dans sa vie, jusqu'à la mort qu'il s'est choisie, une seule règle. Celle-là même qu'il résume dans l'Avertissement pour la troisième édition française de son livre La Société du Spectacle : «Il faut lire ce livre en considérant qu'il a été sciemment écrit dans l'intention de nuire à la société spectaculaire. Il n'a jamais rien dit d'outrancier.»
Toute ma vie, je n'ai vu que des temps troublés, d'extrêmes déchirements dans la société, et d'immenses destructions ; j'ai pris part à ces troubles.
De telles circonstances suffiraient sans doute à empêcher le plus transparent de mes actes ou de mes raisonnements d'être jamais approuvé universellement. mais en outre plusieurs d'entre eux, je le crois bien, peuvent avoir été mal compris. (. ) personne, mieux que shakespeare, n'a su comment se passe la vie. il estime que " nous sommes tissés de l'étoffe dont sont faits les rêves ". calderon concluait de même.
Je suis au moins assuré d'avoir réussi, par ce qui précède, à transmettre des éléments qui suffiront à faire très justement comprendre, sans que puisse demeurer aucune sorte de mystère ou d'illusion, tout ce que je suis. ici l'auteur arrête son histoire véritable : pardonnez-lui ses fautes.
Le 1?? janvier 1977, Guy Debord signait un contrat avec la société Simar Films pour la réalisation d'un long métrage en 35 mm, en noir et blanc, d'une durée de 90 mn. Il y était stipulé, d'entrée:«Il est entendu que l'auteur accomplira son travail en toute liberté, sans contrôle de qui que ce soit, et sans tenir compte de quelque observation que ce soit sur aucun aspect du contenu ni de la forme cinématographique qu'il lui paraîtra convenable de donner à son film.» Le titre même du film ne fut révélé qu'une fois celui-ci réalisé. C'est ainsi que procédait Guy Debord, suivant toujours «un principe naturellement peu favorable à la spéculation fiancière», et ses producteurs ne s'en plaignirent point.Les media, eux, au nom d'un public autrement malmené, regimbèrent. Ordures et décombres déballés à la sortie du film «In girum imus nocte et consumimur igni», qui paraissait en 1982, sans le moindre commentaire (et que nous reprenons en l'augmentant de deux articles), a fait état des diverses réactions, peu variées, de la presse.Face au mur d'incompréhension plus ou moins feinte et aux interprétations erronées, Guy Debord jugea utile en 1990 de publier une édition critique du texte de son film. C'est ce texte que nous donnons ici à relire. Il est suivi d'une note inédite, datée du 22 décembre 1977, qui donne à voir les images, la poésie et le sens profond qui tissent la trame d'un film dont le thème tourne autour de «la vie réelle».
Nous avons regroupé trois textes autonomes de Guy Debord, dont deux firent l'objet d'un tirage à part et dont le premier, ici, fut rédigé en 1971 pour paraître dans le treizième numéro de la revue de l'Internationale situationniste avant sa dissolution.Malgré la diversité apparente des sujets analysés:les émeutes de Watts (dans Le déclin et la chute de l'économie spectaculaire-marchande en 1966), la décomposition des pouvoirs bureaucratiques et de leur idéologie (dans Le point d'explosion de l'idéologie en Chine, en août 1967) et, enfin, le thème de la pollution et de sa représentation (dans La planète malade, inédit de 1971), c'est du «spectacle» sous toutes ses formes et de ce qu'il engendre dont il s'agit.Donnés avec la date de leur rédaction, ces trois textes témoignent non seulement de leur pertinence mais encore de leur actualité.
«L'assassinat de Gérard Lebovici, avec le déchaînement des accusations contre moi que l'événement aura instantanément entraînées, date de 1984. À la fin de l'année, j'ai rassemblé et examiné les attaques, dans ces Considérations qui furent publiées aux premiers jours de 1985. La suite a bien confirmé le sens que l'opération paraissait avoir. Jamais plus, on ne se sera aventuré à juger quelque autre éventuel responsable du crime. Les employés médiatiques ayant servi là n'eurent plus qu'à se taire sur cette question qui les avait tant émus; comme si leur propre conduite n'avait été que normale. Quant à la critique qui persiste, on ne sait trop pourquoi, à s'intéresser à mon néfaste destin, elle s'est vue modernisée deux ou trois ans plus tard. Désormais, pour me faire une mauvaise réputation, elle va accumuler, sur chaque sujet, les dénonciations péremptoires. Spécialistes homologués par des autorités inconnues, ou simples supplétifs, les experts révèlent et commentent de très haut toutes mes sottes erreurs, détestables talents, grandes infamies, mauvaises intentions. (J'en montrerai prochainement d'instructifs exemples).» Guy Debord.
«Spécialistes homologués par des autorités inconnues, ou simples supplétifs, les experts révèlent et commentent de très haut toutes mes sottes erreurs, détestables talents, grandes infamies, mauvaises intentions...»
Ces cinq enregistrements réalisés par Guy Debord couvrent une période de neuf ans qui s'étend des prémices de l'Internationale lettriste (1952-1957) à la fin de la première époque de l'Internationale situationniste (1957-1961), époque de la recherche d'un terrain artistique véritablement nouveau à partir de la réunification de la création culturelle d'avant-garde et de la critique révolutionnaire de la société.
Ces documents sonores nous font entendre la voix singulière de Guy Debord, et s'il a pu dire plus tard que rien d'important ne s'est communiqué en ménageant un public, en 1953 il constatait : « Bien sûr, les auditeurs n'existent pas, c'est une illusion collective, comme Dieu quand il était à la mode. »
«Ces Commentaires pourront servir à écrire un jour l'histoire du spectacle ; sans doute le plus important événement qui se soit produit dans ce siècle ; et aussi celui que l'on s'est le moins aventuré à expliquer. En des circonstances différentes,je crois que j'aurais pu me considérer comme grandement satisfait de mon premier travail sur ce sujet, et laisser à d'autres le soin de regarder la suite. Mais, dans le moment où nous sommes, il m'a semblé que personne d'autre ne le ferait.»