L'oeuvre photographique de Patrick Zachmann, membre de l'agence Magnum, est complexe et dense. Elle se lit notamment à la lumière de plusieurs thèmes récurrents qui la traverse. Le premier, et l'un des plus importants, est la question de l'identité juive. Cette identité, il va la chercher, l'explorer, la découvrir, partant pour cela en introspection dans sa propre famille, puis dans différents pays d'Europe, à un rassemblement des rescapés des camps ou auprès d'une communauté parisienne. Ce travail interroge la notion même d'une communauté, d'une identité, aussi forte que celle juive. De ses réflexions naitrons d'autres chemins que le photographe empreinte aisément, comme ceux de l'exil ou de la disparition. Il ne s'attache en effet pas uniquement à l'identité juive, mais photographie également l'Afrique du Sud et ses rassemblements antinazis, le Rwanda et les survivants du génocide, ou encore la disparition des personnes pendant la dictature chilienne. Dans ce corpus en noir et blanc et en couleur, Zachmann pointe les fragilités de nos relations aux autres, tout en revisitant son oeuvre. Voyages de mémoire est la nouvelle grande rétrospective du travail de Patrick Zachmann, depuis So Long, China (EXB, 2016) à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris.
Nul ne doute plus aujourd'hui de la complexité des liens qu'entretient l'acte photographique avec les notions de mémoire et d'identité. Cette complexité est au coeur de la problématique du photographe Patrick Zachmann ; elle en est même, d'une certaine manière, le fondement : " Je suis devenu photographe parce que je n'ai pas de mémoire. La photographie me permet de reconstituer les albums de famille que je n'ai jamais eus ", écrit-il, affirmant ainsi la dimension introspective de son travail. Sans doute également Patrick Zachmann a-t-il compris très tôt que la question des communautés - et, partant, celle du danger du repli communautaire - constituerait l'enjeu sociologique majeur du XXIe siècle naissant. Dès 1980, il enquête pendant de longues années sur l'identité de la communauté juive française dont il est issu ; il en résulte un livre décisif : Enquête d'identité. A travers ses grands reportages, parmi lesquels ses travaux sur la mafia napolitaine (1982), les jeunes immigrés marseillais (1985), le Printemps de Pékin (1989) - dont les images seront publiées dans le monde entier -, le Rwanda (2000), il approche la réalité des grandes diasporas.
Comprendre, interroger, documenter la vie et la culture des communautés migrantes ou déplacées dictent le travail de Zachmann. On pense à sa longue fréquentation des diasporas chinoises ou maliennes qu'il suit et accompagne de manière approfondie, s'attachant par la photographie ou le documentaire à montrer l'ici (le pays d'accueil) et le là-bas (la terre natale). Cette pratique de l'immersion, de la proximité inquiète des êtres rencontrés, donne à ses travaux une profondeur particulière que l'on retrouve aussi dans son exploration des traces et séquelles du Chili noir de Pinochet.
Plus récemment, il choisit de privilégier la couleur pour son travail Un jour, la nuit, ode poétique aux vibrations nocturnes et intimistes des grandes villes du monde.
Ce livre de Patrick Zachmann, journal photo-biographique, est né de la certitude d'avoir à affronter dans un temps proche, la séparation définitive d'avec sa mère très âgée et malade. Une séparation qui rendra impossible à jamais le comblement de ses silences sur son histoire, celle d'une petite fille juive née et ayant grandi en Algérie dans une famille très pauvre. Cette séparation particulière d'un fils avec sa mère à laquelle Patrick Zachmann se prépare, fait écho à la séparation que les migrants sont obligés d'imposer à la leur pour tenter d'atteindre les mirages de l'occident en traversant la mer au péril de leur vie. Mère, mer, mare, mater... Ce livre parle de la mer que ces jeunes fils traversent et de leur mère qu'ils quittent.
Si la banlieue, pour beaucoup, est une question de géographie, chez Patrick Zachmann, elle relève d'abord de l'histoire. Une histoire nationale.
Pour bien connaître son travail, je n'ai en effet jamais eu le sentiment que Patrick Zachmann photographiait «la» banlieue. Au contraire! Son travail a toujours exclu cet article défini qui déterminerait d'avance un angle de vue. Au contraire ! Il repose que sur l'audace du pluriel indéfini ! «Des» banlieues, «des» gens, «des» histoires. Comme il tisse des liens étroits, mais pudiques, avec ceux qu'il photographie, il sait leur singularité. La respecte. Photographiées hors du bruit et de la fureur, ces histoires en tricotent une plus collective. En trente ans d'images, c'est autant l'immigration que l'évolution de notre société française qui nous est contée. La France, une si proche banlieue...
Cet ouvrage présente le regard porté par Patrick Zachmann sur ce pays depuis les années quatre-vingt à travers une dizaine de séries qui auscultent non l'actualité (Zachmann revendique le temps long) mais dont le fil rouge est la question de l'identité. Question qui traverse l'ensemble du travail de Patrick Zachmann et qui, en Chine, devient pour les nouvelles générations en perte de repères, un enjeu essentiel.
Après avoir découvert la Chine en 1982, à travers le prisme du cinéma chinois sur lequel il réalisait un reportage, Patrick Zachmann a entrepris, pendant huit ans, un travail personnel sur les Chinois dans le monde qui a aboutit à la publication de l'ouvrage W. ou l'oeil d'un Long-nez, en 1995 aux Editions Marval. En 2001, le photographe ressent le désir de s'immerger à nouveau dans ce pays en pleine mutation.
La Chine nouvelle a déjà été beaucoup photographiée, mais très vite il acquière la certitude que la compréhension de la Chine contemporaine ne peut se limiter à une photographie du présent et que sa connaissance du pays lui permettrait d'ouvrir de nouvelles perspectives. La première partie du livre, en noir et blanc, est à la fois documentaire - cette réalité a disparu - et romanesque car elle emprunte à l'imaginaire cinématographique et aux fantasmes de " long-nez " (d'Occidental) de Patrick Zachmann.
" Elle est en noir et blanc parce que j'essayais de retrouver - consciemment ou inconsciemment - les images du cinéma shanghaï en des années trente qui m'avaient marquées. " Images du sud de la Chine, de Hong Kong et de Taïwan qui, si elle ne fait pas partie de la Chine politiquement, entretient un lien très fort et incontournable avec elle. Mais aussi images de Tian' Anmen lors des événements de mai-juin 1989, et du terrible tremblement de terre qui endeuilla la province du Sichuan en 2008, trois mois après le séisme, une fois les projecteurs des médias braqués ailleurs.
A partir de 2001, la Chine de Patrick Zachmann est en couleur. Comme une transition, la série " Nuit de Chine " montre un pays qui est passé du costume Mao, uniforme et triste, aux couleurs vives, extravagantes et audacieuses. Le photographe choisit dès lors de montrer faux-semblants et envers du décor, il veut être le témoin de la complexité des formes qui bouleverse les identités individuelles et collectives de la Chine aujourd'hui.
Mais entre les images de façade qui caractérisent le pays - décors urbains, pouvoir des apparences, univers artificiel de la nuit - se glissent des existences dures et incertaines, comme celles de ces mingong, paysans et paysannes pauvres venus fuir la misère et chercher du travail dans les grandes villes. Véritables esclaves modernes qui construisent la Chine de demain, ils ne rentrent au village, qu'une fois par an, durant le nouvel an chinois, pour une dizaine de jours seulement.
Avec la série " Retour à Wenzhou " Zachmann montre les mutations profondes de l'espace urbain. Le mouvement d'immigration s'est presque inversé. Les candidats a l'exil se font plus rares et de nombreux Chinois reviennent vers la " Mère Patrie ", les chances de s'enrichir sont plus grandes aujourd'hui à Wenzhou que dans un atelier clandestin en France. Quant aux dernières images du livre, composées de portraits transgénerationnels, elles rendent visible le choc culturel à l'intérieur des familles dans un pays où l'histoire s'est accélérée à une vitesse vertigineuse.
Il est l'un des plus grands photographes de l'agence Magnum et il est l'un des premiers à documenter, sur le vif, l'incendie du 15 avril 2019 qui embrase Notre-Dame de Paris. Saisissant l'épais nuage de fumée, et les visages incrédules, en larmes, des spectateurs, Patrick Zachmann sait-il qu'il commence alors une oeuvre qui le mènera sur le chantier de Notre-Dame pour suivre chacune des étapes de la reconstruction ?Car celui qui est le seul photographe ayant l'accès au chantier pendant des mois sera de toutes les étapes pour en saisir la profondeur, telles les grandes épreuves humaines qu'il a déjà suivies pour Magnum. Ces photos disent l'évènement. Ces clichés font histoire. Ils sont ici rassemblés dans un ouvrage pour la première fois, ainsi que près d'une centaine de photographies dont certaines absolument inédites accompagnées des notes qu'a prises Zachmann jour après jour.Ce livre raconte donc l'histoire d'une reconstruction, saisissante, où les hommes s'arriment à des harnais sur les arches géantes de la cathédrale, descendent en rappel sur la voûte pour sonder chaque pierre. Il raconte aussi une histoire éternelle, sur la longue durée, celle d'un édifice qui n'a cessé d'être menacé par les incendies, les accidents, les rêves d'architectes ou les desseins personnels. Une histoire magistrale que nous livre en contrepoint des photographies Oliver de Châlus, historien et spécialiste reconnu de l'édifice.
Des villes, la nuit.
Celles du photographe patrick zachmann sont peuplées d'un monde interlope, en marge, comme cerné d'encre noire. l'univers parfois onirique, parfois terriblement réel de ces voyages au coeur de l'obscur est fascinant. les nuits de l'écrivain martin winckler semblent se situer à l'extrême opposé : intimes, familiales, proches de l'autobiographie. pourtant, on est parcouru de longs frissons en lisant son texte.