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Seuil
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New York, août 2003. Une chaleur suffocante.
Ground Zero, le site des attentats du 11 septembre, vidé de ses décombres, n'est qu'un trou large comme un quartier. Ce n'est plus le World Trade Center depuis deux ans, et ce n'est pas encore la Tour de la Liberté, qui n'est qu'un projet d'architectes. Un non-lieu étrange, une absence dans le paysage. « Le plus petit désert du monde ».
Un vendredi à l'aube, on découvre le corps mutilé d'un ouvrier arabe sans identité, jeté là, dans un puits de forage. Les cendres sont prêtes à se ranimer.
Le commandant O'Malley, qui se charge de l'enquête, porte un costume sombre et ne transpire jamais. De Manhattan à Coney Island, il rencontre, interroge témoins et suspects. Candice, par exemple, la serveuse aux cheveux ambrés comme la bière qu'on brasse à Brooklyn. Ou Pete, l'ancien policier qui fait visiter le chantier aux touristes et qui a eu une altercation avec le mort, la semaine passée. Obèse et raciste avec ça, il ferait un bon coupable. Et puis il y a Simon, l'écrivain français de cette histoire, qui s'interroge sur l'impossible deuil de ces bouts d'existences américaines.
Sans jamais lâcher le mouvement de ses personnages, Reverdy y ajoute un luxe descriptif, un sens du détail, un brio et une musicalité qui lui sont personnels. Car, on le sait, « il faudrait une vie pour raconter une vie ».
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Voilà des semaines, des années peut-être, que l'hiver s'est installé et, avec lui, une pluie diluvienne qui rend les formes indistinctes, semble vouloir submerger la ville et faire partir le monde entier à la dérive.
À la recherche d'une éclaircie, d'un moment de paix, le narrateur dessine peu à peu les contours d'une femme, Éléonore, dont l'amour pourrait le sauver de cet univers gris, de ses lendemains de fête, de ses errances sans rêves, sans mémoire.
À l'abri dans l'appartement déserté qui lui fut autrefois familier, Thomas lui aussi cherche à rassembler les souvenirs d'une autre femme, sa mère, dont la mort a transformé les lieux en un labyrinthe où son corps et sa mémoire achoppent. Par la fenêtre il voit se dérouler le rideau d'une pluie qui le coupe à jamais de son enfance en forme de ruines. Des photos, un carnet de voyage, l'odeur de forêts de pins sont autant d'îlots de souvenirs émergeant avec peine du déluge.
Seule mesure du temps de ces deux récits entre-mêlés, la «montée des eaux» gagne inexorablement un monde sur le point de sombrer. L'amour y fait figure d'un âge d'or. L'écriture, sa seule arche.
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« Que les secondes qui s'égrènent finissent par faire des années, c'est le seul mystère ; que nous finissions par vieillir, alors qu'à aucun moment précis nous n'avons changé », écrit quelque part Thomas B. Reverdy, et l'on pourrait dire en écho avec lui que tout le sujet de son livre est là : l'écoulement immatériel du temps, qui transforme une bande de jeunes gens amateurs de beuveries en presque adultes. Mais quelque chose de bien concret a eu lieu : l'un d'eux, Guillaume, a disparu, non sans avoir convoqué tous ses copains, garçons et filles, dans un restaurant russe de New York. La mélancolie new-yorkaise du jeune homme, ses déambulations sur la plage de Cosney Island, le crépuscule sur Manhattan : des pages à couper le souffle, d'une grande beauté de style.
La suite de l'histoire nous transporte à Rome, pour s'achever sous le ciel étoilé de la campagne française. Peu à peu se développe le thème majeur : la disparition d'un ami renvo ie à une autre blessure, celle qu'on pourrait appeler fondatrice : la mort de la mère, quand le narrateur avait dix-neuf ans Un roman générationnel, mais aussi une oeuvre d'une étonnante puissance, lyrique et
chaleureuse. On se sent invité à entrer dans le cercle, à partager l'alcool, les larmes et la littérature.
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C'est souvent au moment où l'on s'apprête à tout perdre que la chance nous tend une dernière carte. Le narrateur de ce récit, Thomas, est entraîné par les événements dans un étrange voyage peuplé de spectres, où se superpose aux paysages traversés, depuis les brumes du Périgord jusqu'aux terres jaunes et rouges de Provence, le théâtre d'ombres de ses souvenirs. C'est à suivre son périple qu'il nous convie, avec Marine, Jules et Alain, Kim, Paul aux yeux de loup, les quelques amis de toujours qui le sauvent de tous les désespoirs par leurs rires d'ogres et leur amour. Grâce à eux, au fil des kilomètres, Thomas ne parviendra pas à retrouver le temps perdu de son enfance enfuie, mais il fera mieux. Il apprendra à s'en libérer. Rompre. Renaître, si c'est possible, sortant du livre, devenant son auteur.