«L'herbe avait bleui dans les ombres du soir, tout comme le profil de Sam dont les yeux harponnaient loin, iris rétroéclairés par les lumières du tableau de bord. Je lui ai trouvé cet autre visage que j'allais devoir apprendre à connaître, l'air habité de ceux qui mettent le réel à distance, ceux qui dévient en douce, décollent, glissent dans l'illusion.» Une Parisienne exilée dans une petite ville du Colorado s'acclimate difficilement à sa nouvelle vie, contrairement à son compagnon, dont la voix et la personnalité se mettent à changer... Autour de cette novella centrale se déploient et se répondent sept autres récits qui font la part belle aux femmes - solitaires, rêveuses, volubiles, hantées ou marginales. D'une nouvelle à l'autre, Maylis de Kerangal questionne la manière dont le temps érode les êtres et leurs liens : qu'est-ce qui reste, se transforme, ou disparaît ?
«Et, fermant les yeux, nous rêvons de ce jour où il y aura, à la place du pullulement infini, des ministres des chemins de montagne, des ministres des rues jolies et à enjoliver, des ministres de la sieste pour tous. Des ministres de l'importance du songe, de la musique et des mots.» À travers douze récits de résistance et d'espoir, Antoine Wauters donne une voix à ceux que la société réduit au silence. Ceux qui souffrent d'Alzheimer et fuguent en pleine nuit pour retrouver la liberté et les lieux de leurs souvenirs. Ces jeunes venus voir la mer pour fuir la grisaille de leur banlieue, et à qui la police interdit de se baigner. Tous prennent ici la parole, comme une arme contre les excès d'une époque qui menacent notre humanité.
Un architecte qui fuit Constantinople avec les plans d'une bibliothèque inexpugnable, un étrange cavalier qui arrive à convaincre un tout jeune écrivain (accessoirement nommé Miguel de Cervantes) d'écrire un roman inégalable... on retrouve dans ce recueil une atmosphère et des thématiques familières aux lecteurs de Zafón : des écrivains maudits, des bâtisseurs visionnaires, des identités usurpées, une Barcelone gothique et certains des personnages phares de la tétralogie du "Cimetière des livres oubliés", tels Semperé, Andreas Corelli ou David Martin.
Il se dégage de l'ensemble une unité parfaite et un charme profond et envoûtant, dans un halo de mystère (et de vapeur).
«À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.»Annie Ernaux.
Une bande de garçons de six à douze ans se trouve jetée par un naufrage sur une île déserte motagneuse, où poussent des arbres tropicaux et gîtent des animaux sauvages. L'aventure apparaît d'abord aux enfants comme de merveilleuses vacances. On peut se nourrir de fruits, se baigner, jouer à Robinson.
Mais il faut s'organiser. Suivant les meilleures traditions des collèges anglais, on élit un chef. C'est Ralph, qui s'entoure de Porcinet, « l'intellectuel » un peu ridicule, et de Simon.
Mais bientôt un rival de Ralph se porte à la tête d'une bande rivale, et la bagarre entre les deux bandes devient rapidement si grave que Simon et Porcinet sont tués. Ralph échappe de justesse, sauvé par l'arrivée des adultes.
Ce roman remarquable a un sens allégorique qu'il n'est pas difficile de comprendre : c'est l'aventure des sociétés humaines qui est tragiquement mise en scène par les enfants. Mais l'oeuvre vaut avant tout par la description de leur comportement et par l'atmosphère de joie, de mystère et d'effroi qui la baigne.
Après le succès de ses Mémoires, Woody Allen revient avec un recueil de nouvelles jubilatoire. Qu'il écrive sur des acteurs ratés ou des vaches meurtrières, sur l'origine du poulet du Général Tso ou sur celle du noeud de Windsor, qu'il explore la vie sexuelle des célébrités, le talent d'un cheval peintre ou le destin tragique du nez de Sylvester Stallone, il donne vie à des récits loufoques, perspicaces et, surtout, implacablement drôles.
Un recueil où s'exprime à chaque page toute la singularité, l'humour et le talent d'observateur et d'écrivain du réalisateur oscarisé de Manhattan.
Du pur Woody Allen !
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard
«Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j'aimerais aujourd'hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement.» Dans ces deux discours, Chimamanda Ngozi Adichie porte une voix, rare et puissante, d'émancipation.
Depuis l'Antiquité, le mythe de Pygmalion et Galatée n'a de cesse de fasciner et d'inspirer des artistes. Mais ce récit millénaire du sculpteur misanthrope, épris de la statue qu'il vient de réaliser, demeure inachevé : lorsque Galatée est transformée en être vivant par les dieux, elle est réduite au silence par les hommes. Enfin, il est temps pour elle de devenir la narratrice de sa propre histoire et ainsi de choisir elle-même son destin.
«Lorsque j'ai rencontré Ehlmann, il était debout sur le bord de la route, sa voiture garée en catastrophe sur la bande d'arrêt d'urgence, feux de détresse allumés. J'ai vu qu'il souriait, que tout son visage était tordu de larmes et de rires à la fois, j'ai pensé qu'il était fou.»Avec Les orages, Sylvain Prudhomme explore ces moments où un être vacille, où tout à coup il est à nu. Heures de vérité. Bouleversements parfois infimes, presque invisibles du dehors. Tourmentes après lesquelles reviennent le calme, le soleil, la lumière.
Texte extrait de Trois femmes puissantes
«Légendes saisies en vol, fables ou apologues, ces Nouvelles Orientales forment un édifice à part dans l'oeuvre de Marguerite Yourcenar, précieux comme une chapelle dans un vaste palais. Le réel s'y fait changeant, le rêve et le mythe y parlent un langage à chaque fois nouveau, et si le désir, la passion y brûlent souvent d'une ardeur brutale, presque inattendue, c'est peut-être qu'ils trouvent dans l'admirable économie de ces brefs récits le contraste idéal et nécessaire à leur soudain flamboiement.»Matthieu Galey.
Textes extraits de Nouvelles I et II (Folio SF)
Texte extrait de Oeuvres I (Bibliothèque de la Pléiade)
Dans un univers sombre et magnétique, où les époques et les lieux se superposent jusqu'au vertige, Gabriel, Damien ou Natasha se débattent avec de vieilles peurs héritées de l'enfance et leurs pulsions les plus inavouables.
Jérémy Fel entraîne ici son lecteur dans un imaginaire éblouissant, où cruauté et trahison règnent en maître. Comme dans un palais des glaces, les destins se répondent et se reflètent, créant un monde où visible et invisible, réel et fiction, se confondent.
«Fuyez, pour Dieu, fuyez au loin le réverbère ! Et vite, aussi vite que vous pouvez, passez au large. Heureux encore si vous vous en tirez avec une coulée de son huile puante sur votre élégant manteau. Mais outre le réverbère tout respire l'imposture. Elle ment à longueur de temps, cette Perspective Nevski, mais surtout lorsque la nuit s'étale sur elle en masse compacte et accuse la blancheur ou le jaune pâle des façades, quand toute la ville devient éclair et tonnerre, quand des myriades d'attelages débouchent des ponts, quand les postillons hurlent sur leurs chevaux lancés au galop, quand le démon lui-même allume les lampes uniquement pour faire voir les choses autres qu'elles ne sont.» Classiques de la littérature russe, La Perspective Nevski et Le Manteau sont deux entrées exemplaires dans l'oeuvre de Gogol et ouvrent, magistralement, à sa Saint-Pétersbourg spectrale et cruelle.
Foi qui se questionne, désir déçu, homosexualité qui ne peut se dire, âpretés de l'exil... Dans ces deux nouvelles, l'auteure d'Americanah tisse magistralement les trajectoires de personnages pour lesquels «la terre des origines» est lointaine et que secouent d'intimes déchirements. «Le jour où un avion s'écrasa au Nigeria, le même jour où la première dame nigériane mourut, on frappa fort à la porte d'Ukamaka à Princeton. Les coups la surprirent car personne ne se présentait jamais à sa porte sans prévenir - on était en Amérique, après tout...»
Quatre récits à suspense, quatre héroïnes aux prises avec des secrets familiaux tous plus glaçants les uns que les autres. Ainsi en va-t-il de Clare qui reçoit en héritage de parents inconnus une étrange propriété à Cardiff, dans le Maine, ou encore de Mia, enfant solitaire qui apprivoise une chatte sauvage et trouvera en elle sa plus fervente protectrice face aux hommes violents de son entourage.
Avec Cardiff, près de la mer, Oates offre une plongée virtuose au coeur de la psyché féminine, entre cauchemars et réalité, semant le doute dans l'esprit du lecteur terrifié.
«Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu'on l'entrevoit dans Les Dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, les miséreux tristes et furieux de l'Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j'ai faite en littérature depuis longtemps».
Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature.
Peuplées d'adolescentes rebelles, d'étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l'horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d'une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l'âme humaine, explorant de son écriture à l'extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.
«Miss Campbell écoutait sans dire un mot, et levait parfois ses beaux yeux sur le jeune homme, qui ne cherchait point à la gêner de ses regards. Elle ne put s'empêcher de sourire, lorsqu'il parla de sa chasse ou plutôt de sa pêche aux nuances marines. Est-ce qu'elle aussi n'était pas en quête de pareille aventure, un peu moins périlleuse, toutefois, la chasse aux nuances célestes, la chasse au Rayon-Vert ?»Lorsque deux jeunes téméraires se mettent en quête du rayon vert, phénomène optique aussi spectaculaire que rare... L'irrésistible histoire d'amour, insouciante et espiègle, qui inspira le cinéaste Éric Rohmer.
Extrait des Chevaux fantômes et autres contes (Folio)
«Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l'entends, je la subis encore. Et j'ai peur. Ce soir est la fin d'un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L'air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L'horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque. » Un texte bouleversant dans lequel Jean Giono livre, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un véritable plaidoyer pour la paix.
«De tous les talents ordinairement en possession de mon sexe j'étais la maîtresse. Au couvent, mes progrès avaient toujours été plus Grands que ne le permettait l'instruction reçue, les connaissances dont je disposais étonnaient chez quelqu'un de mon âge, et je surpassai bientôt mes maîtres. Toutes les vertus susceptibles d'orner un esprit se retrouvaient dans le mien. Il était le lieu de rencontre de toutes les qualités et de tous les sentiments élevés. Mon seul défaut, s'il mérite ce nom, était de posséder une sensibilité trop vive, prompte à s'émouvoir de toutes les afflictions de mes amis, des personnes de ma connaissance, et plus encore des miennes.» Dans ce bref roman épistolaire composé par Jane Austen à l'âge de quinze ans se goûte déjà la plume de la maturité, aussi délicate qu'ironique.
À Dublin, Paris, New York ou dans le Michigan, des Américains et des Irlandais sur le second versant de leur vie se penchent sur leur passé. Comme Jonathan Bell, Ricky Grace et les autres, tous sont confrontés à une forme de solitude, de dépaysement ou simplement de rupture. Richard Ford les observe. Non sans une certaine ironie, il décrit leurs doutes et leur inconfort, met en scène leurs désarrois et recueille leurs confidences.
Seul, un jeune aristocrate foule le quai de gare d'une station de montagne. Arrivé à son hôtel, à l'affût de la moindre rencontre, il entrevoit une femme élégante, l'air lointain, en compagnie d'un garçonnet. Prêt à tout pour la conquérir, il va feindre l'éclosion d'une amitié avec le fils pour atteindre la mère. Et bientôt, le petit Edgar ne comprendra pas la raison, celle qu'on lui tait et qu'il pressent brûlante, de leur soudaine métamorphose... «Oh, le savoir, savoir enfin ce secret, le comprendre, tenir cette clef qui ouvre toutes les portes, ne plus être l'enfant à qui l'on cache et dissimule tout, ne plus être celui qu'on berne et qu'on dupe. C'est le moment ou jamais ! Je vais bien le leur arracher, ce terrible secret.»